Lors d'une soirée à St Malo, Eliza, jeune femme versée dans l'économie et la finance, femme d'Étienne, duc d'Arcachon et Grand Amiral de France, tente d'expliquer à Monsieur de Pontchartrain, contrôleur-général de France et Secrétaire d'État de la Marine, comment ce dernier pourrait acheminer en Angleterre la somme d'argent nécessaire à payer les soldats sur le point d'envahir l'île, la traversée de la Manche étant une chose dangereuse pour un gallion rempli de pièces de monnaie. Elle enfile un masque de Mercure et improvise une saynète.
Traduction de The Confusion (pp 357-360) de Neil Stepenson. Tous les mots en italiques sont en français dans le texte.
Eliza poursuivit : “Vous, Monsieur de Ponchartrain, asseyez-vous. Vous êtes le Débiteur : le contrôleur-général de France”. “Ce devrait être un rôle facile à jouer pour moi, Mercure” admit le contrôleur-général, puis, après une courte révérence à Eliza, s'assit. A cet instant, maintenant l'homme de plus haut rang dans la pièce se fut exécuté, tout le monde voulait rejoindre le spectacle. “Nous allons commencer par mimer la situation d'un simple Billet au Porteur”, déclara Eliza, “qui ne met en jeu que quatre personnes, plus Mercure. On attribuera des rôles au reste d'entre vous par la suite.” voyant qu'un attroupement s'était formé autour d'eux, curieux de voir la suite. “Cette table représente Lyon.” “Cependant, Mercure, je vous avoue tout de suite mon incrédulité face à cette situation : le contrôleur-général ne se rend jamais à Lyon ” s'exclama Ponchartrain. “Nous remédierons à ça dans quelques minutes, mais pour le moment, vous êtes à Lyon. Assis en face de vous se trouve Étienne, qui jouera le rôle de Lothar le Banquier.” “Pourquoi dois-je porter un nom aussi ridicule ?” demanda Étienne. “C'est un nom très réputé parmis les banquiers, Lothar est Ditta di Borsa à Lyon, Bruges et un tas d'autres endroits.” “Cela signifie que ses crédits sont impecables chez les autres banquiers” ajouta Pontchartrain. “Très bien. Si votre gaillard est aussi réputé que vous le dîtes, j'accepte de jouer son rôle.” et Étienne s'assis à son tour à la table en face de Pontchartrain. “Vous avez l'argent” dit Eliza en utilisant ses mains comme un rateau pour amener les jetons éparpillés sur la table en un petit tas face à Pontchartrain.“Et vous voulez l'amener... là”. Elle se précipita par la double porte dans le Grand Salon où une partie de backgammon avait été abandonnée. “Madame de Bearsul, vous êtes banquière à Londres. Cette table est Londres.” Madame de Bearsul s'approcha de Londres en faisant montre de tant d'affectation, de rougissements et de battement de mains qu'Eliza eu envie de la gifler : “Mais, madame, je ne sais rien de telles occupations !” “Bien sûr que non, puisque vous êtes une femme de rang ; mais tout comme les Rois aiment à jouer les Vagabonds en costume, vous êtes maintenant un banquier du nom de Signore Punchinello. Signore Punchinello, voici votre coffre fort.” Mercure referma la boîte de backgammon, emprisonnant les jetons à l'intérieur, et la tendit à la de Bearsul, qui, avec force recoiffement et lissage de robe, pris place autour de Londres. Monsieur le chevalier d'Erquy l'aida à prendre place car, anticipant les manœuvres d'Eliza, il les avait suivi toutes deux dans le Grand Salon. “Monsieur, vous êtes Pierre Dubois, un Français à Londres.” “Malheureux destin ! Vraiment ?” se plaint d'Erquy, à l'amusement général. “Vraiment ! Mais vous ne pouvez pas vous asseoir encore car vous n'avez pas encore fait la connaissance de Signore Punchinello. Au lieu de ça, vous déambulez dans les rues telle une âme en peine à la recherche d'un morceau de pain. Et maintenant, tout le monde en place !” et elle retourna dans le Petit Salon où plumes, encre et papiers avaient été apportés à la table de Lyon. “Monsieur le contrôleur-général, donnez votre argent - l'argent de la France cela va sans dire - à Lothar le Banquier” “Monsieur, s'il vous plaît, ” offrit Pontchartrain, poussant la pile de jetons en travers de la table “Merci beaucoup, Monsieur, ” répondit Étienne d'un ton un peu incertain. “Vous devez lui donner plus que des politesses ! Écrivez donc le montant et le mot 'Londres' et datez, dison, cinq minutes dans le futur.” Étienne prit une plume et s'appliqua à faire ce qu'on lui avait demandé, écrivant "trois heures et demie", l'horloge dans le coin de la pièce indiquant ving-cinq. “Et maintenant, donnez ça au contrôleur-général, ” ordonna Eliza “Et maintenant, contrôleur-général, écrivez cette adresse au dos : 'À Monsieur Pierre Dubois, Londres.' Pendant ce temps là, Lothar, vous devez écrire un avisa adressé à Signore Punchinello à Londres, contenant les mêmes informations que sur le Billet.” “Le Billet ?” “Le document que vous avez donné au contrôleur-général, ceci est un Billet au Porteur.” Quand Pontchartrain eut finit d'écrire l'adresse, Mercure lui attrapa des mains le Billet, fila dans l'autre pièce pour l'apporter à "Pierre Dubois" qui avait assisté à la scène, amusé, depuis le pas de la porte. Puis elle retourna auprès de "Lothar" en train de recopier l'avisa avec plus d'application et de politesse qu'il n'était nécessaire. Mercure l'arracha de sous sa plume. “Grand Dieux ! Je n'ai même pas encore terminé l'en-tête !” “Il va falloir vous habituer à jouer le rôle de Lothar un peu mieux. Il serait beaucoup plus direct.” contra Mercure en voltigeant vers l'autre pièce, l'avisa à la main jusqu'à "Signore Punchinello". “En vérité, il devrait y avoir deux, voire trois copies du Billet et de l'avisa, envoyés par des messagers différents, ” précisa Mercure, “mais pour ne pas rendre cette saynète trop ennuyeuse, nous nous limiterons à une seule. Signore Punchinello ! Vous nous disiez plus tôt que vous ignoriez comment jouer votre rôle, mais je vous assure maintenant que tout ce qu'il vous faut savoir, c'est lire et de reconnaître l'écriture de Lothar. Est-ce le cas ? (La réponse correcte est 'Oui, Mercure !')” “Oui, Mercure !” “Monsieur Dubois, je suppose que vous savez ce qu'il vous reste à faire.” En effet, "Monsieur Dubois" prit maintenant place à la table de Londres face à "Signore Punchinello" à qui il présenta son Billet. “Maintenant, Signore” expliqua Eliza à Madame de Bearsul, “vous devez comparer ce qu'il est écrit sur le Billet à l'avisa.” “Ils sont identiques”, répondit "Punchinello." “Ont-ils été écrit par la même main ?” “Assurément, Mercure, les écritures sont indistinguables.” “Quelle heure est-il ?” “Selon votre horloge, trois heures passées de vingt-huit minutes.” “Alors prenez votre plume et écrivez 'accepté' en travers du Billet, et signez votre nom en dessous” Madame de Bearsul s'éxécuta, puis, commençant à saisir l'esprit, ouvrit sa boîte de backgammon et commença à compter les jetons. “Pas encore !” l'interrompit Mercure. “Je veux dire, il est tout à fait raisonnable de votre part de les compter pour voir si vous en avez assez. Mais en bon banquier, vous ne les donnerez à Monsieur Dubois que lorsque le Billet sera du.” Mais ils n'eurent que quelques secondes à attendre avant que l'horloge ne sonne deux fois, indiquant la demie ; les jetons de backgammon furent poussés en travers de la table dans les bras accueillant de "Pierre Dubois." “Voilà !” annonça Mercure à son public, qui, à ce stade, avait atteint plus de vingts invités. “ La première partie de notre saynète s'est bien terminée. Monsieur le contrôleur-général a transféré ses fonds de Lyon à Londres sans aucun risque et même convertis ceux-ci en penny anglais à l'occasion sans le moindre effort. Tout cela par invocation des pouvoirs surnaturels de Mercure !” Eliza salua et profita quelques instants des applaudissements de ses invités.
ENTRACTE