D'aussi loin que je me rappelle, je n'ai jamais (ou presque jamais, on n'est jamais à l'abri d'un égarement) utilisé de citation d'auteur dans mes devoirs de français ou de philosophie. Je dirai même qu'il y a une sorte de malhonnêteté intellectuelle, la plupart du temps, à utiliser une telle citation, sorte d'argument d'autorité vaguement maquillé derrière une phrase qui semble être d'une logique implacable.
Je trouve que le monde de l'internet d'aujourd'hui est beaucoup trop attaché à la volonté systématique d'originalité et de traque du fake. Lorsque j'étais en terminale, mon père, en rapport avec mes dissertations de philosophie, me disait toujours "n'essaie pas d'avoir de pensée originale, tu va échouer, tu as 17 ans, tu es un jeune con", chose que j'ai parfaitement et immédiatement assimilé (j'ai humblement conscience de n'être ni Descartes ni Rousseau) mais que mes camarades (pourvoyeurs de citations à n'en plus finir) refusaient catégoriquement d'admettre.
Parfois, aux détours d'une copie, d'un détournement de fiction déjà existante, on invente quelquechose de nouveau. C'est tant mieux, je ne veux pas non plus renier les créations nouvelles, mais je crois qu'il faut cesser ce culte du trouveur. S'énerver parce qu'on n'est pas celui qui est cité comme source première d'un gif animé de chaton avec un chapeau de cow-boy (même si vous êtes effectivement le premier)(ce dont je doute) me fait désespérément penser à un mauvais chanteur qui se plaint de ne vendre aucun disque à cause du piratage pendant que ma sœur achète une sonnerie de René la Taupe à 3€. Parce qu'avec Twitter et Google Instant tout va plus vite, on voudrait être reconnu plus vite. Sauf que dans le même temps, un millier d'autre personnes veulent la même chose, l'équilibre est donc conservé : au final, on ne devient pas une star durable plus facilement.
Alors oui, René la Taupe c'est mauvais, ça n'est pas inventif, ça n'a aucune originalité, mais c'est à la fois mon propos et pas mon propos. Ça n'a aucune originalité et pourtant c'est un succès. Mais ce n'est pas sur le manque d'originalité qu'il faut attaquer cette ritournelle, c'est sur son intrinsèque pauvreté : c'est simplement mauvais. Il en va de même pour Avatar, le film de James Cameron. Il n'était pas mauvais par manque d'originalité scénaristique, ce qu'on a beaucoup entendu, tout le monde criait que c'était un remake de Pocahontas : la preuve Le Nouveau Monde de Terence Mallick est aussi le récit de la vie de Pocahontas (de manière encore plus littérale) et pourtant c'est un bon film. Non, si Avatar était mauvais c'était pour des défauts intrinsèques (jeu des acteurs épouvantable, absence chronique de tension dramatique etc.)
L'usage de la citation et par extension la citation de l'œuvre "originale" contenant l'idée de ce que l'on critique apporte en plus une touche de prétention à la discussion que je trouve la plupart du temps malvenue, surtout si elle est présentée avant la démonstration qui se doit de l'accompagner : elle met en défaut l'interlocuteur qui ne peut pas répondre à des idées puisqu'on ne lui en propose pas, on lui propose simplement le nom d'une œuvre (qu'il ne connaît en général pas), bloc massif et sans appel (« C'est dans la Bible »/« Ça a déjà été posté sur BienBienBien »). On frustre l'adversaire, on le force à vous insulter (il n'a plus que ça, il ne s'en prive généralement pas).
Je propose donc que nous soyions tous pédagogues envers notre prochain, que nous présumions tous d'un niveau intellectuel normal chez nos interlocuteurs ou alors que nous fermions nos gueules.