Nous étions en famille, mes parents sur le canapé, moi sur la moquette, allongé sur des coussins pas tout à fait moelleux, ma soeur de l'autre côté des stores vénitiens, dans sa "chambre". Sur l'écran de l'ordinateur, disposé de manière à ce que tout le monde puisse le voir, se terminait le septième épisode de la saison deux d'Alias, la série de JJ Abrams, avec Jenifer Garner. Je ne me souviens plus quel est le cliffhanger de cet épisode. Je pourrais regarder tout de suite, mettre le DVD numéro 2 dans le tray de ma xbox, mais ça n'a pas grande importance.
Nous avions l'habitude de regarder les épisodes au rythme d'un par semaine, celui de la diffusion américaine, le lendemain ou le surlendemain de sa sortie en fonction, souvent, de l'état de fatigue de ma mère. Cependant, pour des raisons diverses et variées, nous avions passé une semaine sans voir d'épisode et voilà qu'arrivait sur mon disque dur le huitième épisode alors même que le septième restait inviolé. La semaine suivante était celle de Thanksgiving de l'autre côté de l'Atlantique et je savais qu'il n'y aurait pas d'épisode, je n'avais donc aucune crainte de prendre du retard sur la série en respectant le format scénaristique, celui qui consiste à devoir attendre sept jours durant la destinée de Sydney Bristow, laissée suspendue à une échelle de corde, les pieds et poings liés, un uzi inamicalement pointé sur sa tempe, un doigt étranger en instance d'appuyer sur la détente de l'arme en question.
C'est en ces instants de suspense insoutenable que tient tout le génie de cette série et c'est à l'issue de ceux-ci que le carton de fin apparaît, bientôt suivi du jingle de Bad Robot.
- Julien, mets le huit. - On avait dit qu'on attendait la semaine prochaine - Oui mais mets le huit - Non, il faut attendre. - Julien, je t'ordonne de mettre l'épisode suivant - Non - JULIEN, tu fais ce qu'on te dit
Le reste de la discussion est un peu confus, j'ai balancé un pot de fleur, effacé l'épisode 8 du disque dur sans passer par la corbeille puis suis allé m'enfermer dans ce qui me servait de chambre, en hyperventilation et dans un état de stress peu commun qui me faisait trembler de tous mes membres.
J'étais intimement persuadé d'être dans mon bon droit en refusant les ordres que l'on me donnait de regarder cet épisode suivant. Si je leur imposais cette attente (délicieuse) c'était pour leur bien. En voulant se précipiter sur la suite, ils cédaient à la gourmandise et comme chacun sait, la gourmandise est un péché. La vérité évidemment, c'est que qu'outre l'aspect dérisoire de l'affaire (après tout, ça n'est qu'un épisode de série vu enchaîné à un autre), j'avais eu tort.