Je déteste être évalué. Ça me met dans un état de stress total, je perds mes moyens, je questionne mes choix de vie et, souvent, seul face à l’examen, je préfère la fuite. Je déclare “connerie !” et je m’en vais quérir un plaisir immédiat.
L’évaluateur en concluera que je ne suis pas compétent et que la fuite et la grossièreté ne sont qu’une manière bien inélégante de camoufler mes manquements. Haha. Si ça lui fait plaisir. Qu’il aille bien se — trêve de vulgarité !
La ligne est fine entre “se trouver des excuses” et “dénoncer une inéquité systémique”. En tant que recruteur, je ne donne jamais de test technique à réaliser à la maison parce que je pense qu’en creux, c’est une pratique discriminatoire : ce qu’on va juger c’est la capacité à s’aménager une plage de concentration au milieu des contraintes du quotidien, et donc, de fait seront privilégiés ceux qui ont peu de contraintes. Exit les gens qui ont des impératifs (familiaux, médicaux, repos, etc), ce qui recoupe assez souvent les femmes et les personnes issues des milieux moins favorisés.
Je ne suis ni l’un ni l’autre, mais confronté au problème (”Voici le test, ça prend 2/3h, tu me le rends quand tu veux”) j’ai mis presque 10j à trouver les 3h à consacrer à fabriquer ce qu’on me demandait. Dix jours de culpabilisation de ne pas m’y mettre, trois petites heures grattées à coup de mensonge, de dissimulation, de désagréabilité envers mes enfants pour repousser leurs sollicitations, de “oui oui j’arrive bientôt à table, je prends juste 20’” et de “tant pis pour la sieste que je m’étais promise”. Tout ça pour rendre un truc un peu moyen et un peu moche qui ne reflète rien d’autre que les conditions dans lesquelles le travail a été réalisé.
Je parle des tests techniques mais il en va de même pour les gamejams organisées sur un week end. Peut être qu’on aurait une moindre proportion de mecs célib qui savent pas faire une lessive dans l’industrie informatique/gaming si c’était pas un pré-requis du processus de recrutement !
Il y a le temps et puis il y a les contraintes technologiques imposées, le langage, le framework. Je sais et j’aime résoudre des problèmes, répondre à des besoins et c’est ce que j’attends des développeu·r·ses que je recrute, c’est le cœur des compétences requises, et je laisse habituellement toute latitude aux candidates de choisir leurs outils préférés pour se sentir en maîtrise.
Une des raisons pour lesquelles je cherche à quitter mon poste actuel tient justement au fait que, en dépît de la position à laquelle je me trouve, je ne puisse pas être en maîtrise des outils et technologies qui permettraient à mes équipes de faire correctement et efficacement leur travail, parce que c’est décidé “ailleurs”, “en haut”, par une “autorité”, les fondations sur lesquelles on voudrait se baser pour répondre au besoin sans cesse remises en question par un nouvel interlocuteur surgit d’on se sait où et investit de la mission quasi-divine de déconstruire la stack courante pour une nouvelle impérieuse raison. C’est épuisant.
En 3h de test, c’est difficile d’apprendre à manier correctement un nouvel outil et si le test vise à vérifier que je maîtrise bien tel outil du jour, alors c’est objectivement un échec. Tout le temps du test j’ai eu l’impression de porter un costume trop petit, ou pire, de m’être présenté à un test de course sur piste en tenue de bain, on m’a tendu un jogging du stock de vêtements oubliés, un peu élimé et imprégné d’une odeur chelou : « vas y change toi, je t’attends sur la piste ». Surtout qu’ici le test requiert de créer quelquechose à partir de rien : pas de bonnes pratiques à suivre, pas de squelette sur lequel s’appuyer, rien qu’une succession de choix pragmatiques à faire, dans un temps réduit, basés sur des intuitions d’autres outils. Quand je vais les justifier à l’oral (si l’opportunité m’en est donnée), j’aurai juste l’air d’un mec recroquevillé sur ses acquis qui dit “oui mais en React on fait comme ça donc j’ai cru que…” alors que dans l’espace qui m’a été offert c’est le seul argument valable.
Je déteste être évalué mais quand il faut que ça arrive, j’aimerais que puisse l’être ce que l’on cherche à évaluer, sinon à quoi bon…