Je tente le Bradbury Challenge de Anthony, semaine 1. Ma contrainte cachée était "discours indirect libre".
« Et on va où comme ça ? ». Je lui répond qu’on va jusqu’au phare, elle me dit que j’ai quand même un truc pour les phares. J’aurais eu du mal à le nier alors je ne dis rien. Je me retourne, elle est derrière moi et me rend mon sourire. Un rayon de soleil qui a miraculeusement esquivé l’épaisse couche de nuage miroite sur sa chevelure incandescente qui vole au vent, elle repousse une mèche qui barre brièvement ses yeux qui brillent d’un vert lumineux. Saillantes de son visage à la pâleur angélique, ses pommettes sont roses de l’effort d’avoir traversé l’île.
On a quitté le petit port de pêche il y a plus d’une heure. L’île n’est pas grande mais elle est incroyablement vallonée et la diversité des paysages que nous avons traversés en moins de six kilomètres est assez stupéfiante. Enfin, surtout stupéfiante quand on est citadin, je suppose, vu qu’elle n’a pas eu l’air aussi surprise que moi devant le marais coincé entre les deux collines aux pentes abruptes que nous avons tant bien que mal esquivées. Et même qu’elle avait une anecdocte sur son petit frère qui est tombé dans un puits après avoir voulu marcher sur ce qu’il pensait être le solide sol sous lui mais s’était avéré être un tapis de lentilles d’eau, dense et vert comme une pelouse d’été pour le regard mais éphémère et se dérobant au contact du pied.
Mon pied que je pose à terre, je me suis trompé, je suis désolé, elle dit que c’est pas grave, le coin est mignon, regarde cette petite maison cachée dans les frondaisons avec ses volets rouges et sa tonelle de roses. Elle est adorable.
On arrive au phare. Je venais ici quand j’étais enfant. Tu es la première personne à qui je le montre. Les bandes rouges et blanches de peinture décrépie s’effritent sous l’action combinée du vent, de l’humidité et du sel venus de la mer. Il est abandonné, une pancarte en métal aux bords rouillés prévient les promeneurs qu’il serait dangereux de s’aventurer au delà du grillage, que la falaise est instable, que le phare menace de s’écrouler, allez vous en, y a rien à voir, danger de mort.
Je contemple l’édifice abandonné qui se découpe sur le ciel couvert. Elle avise un morceau de clôture mal fixé à un poteau metallique, ce serait dommage d’être venu jusque là pour ne pas visiter. Je suis d’accord mais j’hésite, je n’ai pas l’habitude d’outrepasser les limites mais elle, elle l’a déjà franchie. C’est vrai, ce serait dommage de passer à côté, de ne pas passer de l’autre côté. Elle traverse d'un pas léger l'esplanade parsemée de buissons, ouvre la lourde porte en bois et pénètre dans le bâtiment.
Je m’apprête à la suivre, je jette un dernier coup d’œil à la tour qui paraît immense en contre-plongée. Ses couleurs vives se découpent sur le ciel d’un bleu profond, le soleil inonde mon visage d’une douce chaleur, l’odeur entêtante de la peinture fraîche chatouille mes narines. Derrière moi, les tables en bois brut sont dressées de grandes nappes blanches qui volent au vent comme des nuages. Des guirlandes de fanion, les cris joyeux des enfants qui jouent et le son des violons traditionnels annoncent la fête. On célèbre le phare aujourd’hui. Debout près d’une table, elle jette un regard sombre et perçant dans ma direction. Je le capte, ses fines lèvres esquissent un sourire triste, de la main gauche elle place une mèche brune derrière son oreille, de l’autre elle me fait un signe de la main, un au revoir.
J’entends sa voix qui résonne dans l’escalier en colimaçon, est-ce que je viens, il n’y a rien à craindre, il y a une belle vue de là-haut. Je grimpe. Il y a une belle vue et regarde c’est une lentille de Fresnel. Elle prend ce sourire narquois qui dit explique moi. Je parle de poids, de distance focale, de convergence et de puissance lumineuse, de demi-sphère, de surface et de courbure, des retroviseurs à l’arrière des autobus et des casques de réalité virtuelle. Elle déambule lentement tout autour et termine sa course accoudée à la rembarde, c’est une invitation à la rejoindre, à me taire et à écouter le bruit du vent qui s’infiltre partout. Je passe doucement le bout des doigts sur sa nuque, à la naissance de ses cheveux, j’accompagne le mouvement de son cou, je ferme les yeux en anticipation, pour mieux profiter de la douceur de sa bouche sur la mienne.
« Je croyais qu’il était abandonné ! » Je rouvre les yeux et me retourne brusquement. On me dit qu’il me ressemble tellement quand j’avais son âge mais je trouve qu’il est beaucoup plus beau, plus élégant, plus agile. Il a les cheveux de sa mère surtout, c’est un atout que je ne lui ai pas légué. La voile cache ce qu’il me montre. Je passe la tête sous la bôme. Au-delà des crêtes écumantes des vagues, surplombant la haute falaise crayeuse coiffée d’une végétation automnale flamboyante, le phare brille d’une douce lumière émeraude.