Le jeune homme se lève de sa console. Il a les cheveux épais, courts mais denses, sombres, adoucis seulement par quelques mèches folles. Il attrape un petit miroir de la taille d’un iphone pour replacer l’épi dans le droit chemin. Le droit chemin, une notion qu’il n’a décidément jamais apprécié. Mais cette fois, il doit assumer, la provocations des deux patriotes est légitime : il s’est fait choper en train de rouler des pelles à la petite Stéphanie ; il eut été impossible de les laisser en “vu”.
Le reflet lui renvoie son regard perçant et affiné. Noir de la colère du gâchis qu’il laisse le soin à Gauss et à Jacobi de déchiffrer. Il attrape les feuillets épars, les rassemble. La lueur de la bougie les traverse et le jeu des transparences leur donne la couleur d’une télé calée sur un émetteur hors-service. Il aurait aimé pouvoir disserter davantage sur l’application à l’analyse transcendante de la théorie de l’ambiguité, mais il doit conclure là, sur une identité d’intégrale de transformation. Il espère qu’il a juste. Non. Il le sait. De toute façon, il est l’heure. Il sort.
Il se dit qu’il est déjà mort, mais il marche fièrement vers le sud, le long du Chemin de la Glacière, son corps piloté tel un drone par un esprit qu’il laisse encore vagabonder dans les espaces abstraits de l’algèbre tant qu’il le peut. Il se dit qu’il est déjà mort et Paris ne dément pas sa pensée. Les nappes de brouillards du petit matin ne sont sont pas encore dissipées, les calèches n’ont pas encore envahit les rues de leur brouhaha incessant : il n’est pas encore 5h, les parisiens dorment toujours.
Il s’apprête à traverser le boulevard Auguste Blanqui lorsqu’un convoi menace de le renverser. Il sursaute, s’extrait de son état de trance. Les roues cerclées de fer des véhicules qui s’éloignent crissent sur les pavés comme un métro entrant en station. Il est à nouveau seul et dans le silence il traverse pour passer devant le bâtiment qui marque la Barrière de Lourcine. Quatre colonnes, un fronton triangulaire, un joueur des Sims peut inspiré n’aurait probablement pas fait pire. Il s’engage sur un petit chemin de terre qui serpente entre les arbres.
Parvenu à côté de l’étang de la Glacière, un rouquin avec des favoris et un bicorne, flanqué d’un brun trapu l’attendent. Il n’a rien à leur dire alors il reste à l’écart et contemple les canards qui flottent paisiblement sur l’onde tranquille. Une quatrième figure les rejoint, une malette en cuir à la main. Elle ne contient pas des liasses de bons au porteur, mais deux revolvers richement ornés, encasés dans un velour d’un rouge aussi vif que celui du drapeau de la Chine.
– Déclinez vos identités.
– Galois, Evariste, né le 25 octobre 1811 et mort ce jour de l’an 1832 à l’âge de vingt ans…
– Ce n’est pas encore fait…
– … emprisonné deux fois, renvoyés de toutes les grandes écoles pour son impertinence et son génie mais dont les travaux perdureront tant qu’il y aura des esprits naturels suffisament affûtés pour les appréhender…
– Le mec se prend pour Einstein…
– … je tombe pour une erreur, un écart, un amour éphémère et malheureux. Je meurs et ne saurai jamais si cet âge que j’ai est le plus beau.
En face, à ving-cinq pas, le jeune homme roux a enlevé son couvre-chef et se présente à son tour. Beaucoup plus brièvement et humblement. Les armes sont levés, les balles échangées. Le jeune Evariste tombe, blessé au côté.